Jardin-labyrinthe
Le dessin du labyrinthe de Cnossos apparaît sur tablette écrite en linéaire B, mais, comme motif décoratif géométrique, il existe déjà dans l'art primitif ; commune à plusieurs civilisations, cette mathématique de la forme traverse aussi les époques. En tant qu'énigme, le labyrinthe représente la métaphore de la perte et de la quête du sens.
La forme de la lettre T est liée au labyrinthe, peut être en référence à son étymologie, labrys, qui désigne en grec ancien une hache formée de deux demi-lunes (en forme de T), dessin du chemin qui se divise en deux, symbole de l'ambivalence.
Le jardin est l'une des formes que peut revêtir le labyrinthe. L'engouement pour les jardins-labyrinthes, devenus très en vogue ces derniers temps, est même un véritable phénomène de société. Le cinéma y a sans doute aussi contribué : au début du Limier de Mankiewicz ou à la fin de Shining de Kubrick en passant par Meurtre dans un jardin anglais, on retrouve le jardin-labyrinthe, image du vertige qui repose sur une fausse symétrie, tourbillon à l'intérieur d'une forme rigide et rationnelle, mais aussi lieu où l'on doit fuir, figure du doute devant la pluralité des possibles peut-être caractéristique de notre époque.
Cette inquiétude, c'est aussi celle de l'homme de la Renaissance, période où naissent les jardins-labyrinthes. Le Rinascimento italien voit éclore d'innombrables jardins imités de l'Antiquité, mais le labyrinthe n'en est pas directement inspiré, même si les Romains pratiquaient déjà la mise en scène végétale, notamment en trompe-l'œil. Jusque là, le labyrinthe trouvait sa place dans les églises où, portant le nom de « chemin de Jérusalem », il figure un parcours similaire au chemin de croix, un voyage initiatique, comme dans les cathédrales d'Amiens, de Chartres, de Reims, par exemple : celui qui y pénètre doit se laisser guider et ne pas perdre confiance, ne pas douter pour arriver aux secrets. Les fidèles allaient, à genoux, de la bordure vers le centre, comme pour parcourir un pèlerinage symbolique, gagner le ciel. Le jeu de la marelle est d'ailleurs un avatar de ce labyrinthe sacré.
Le jardin-labyrinthe apparaît sans doute la première fois (sur une gravure de 1464) comme élément de la ville idéale de l'architecte et urbaniste Florentin Filarète, Sforzinda, et il se multiplie au XVIème siècle. Rabelais place aussi un « beau labyrinthe » dans le jardin de plaisance de son utopique abbaye de Thélème (Gargantua, 1534).
Parallèlement, la mode des arbustes et des haies taillés (reprise de l'Antiquité romaine), leur disposition, l'art de les arranger, donnent lieu à des traités qui circulent dans toute l'Europe. La figure du labyrinthe passe de la sphère du sacré au profane dans un monde qui n'est plus soumis à l'ordre divin, à l'époque où se développent à la fois la perspective et l'optique, mais aussi l'illusion et le jeu (représentés par exemple dans les anamorphoses). Le labyrinthe devient en même temps un agrément, comme le labyrinthe d'amour, dont le plus célèbre se trouve à Hampton Court.
Parmi les célèbres labyrinthes végétaux italiens, on peut citer les quatre parterres (vers 1550) de la villa d'Este à Tivoli, itinéraire ésotérique placé sous le signe d'Hercule, hésitant entre la voie du bien et du mal. A la même époque, pas très loin, à Mantoue, la « salle du labyrinthe » du Palazzo Ducale, figure un labyrinthe dans lequel se répète à l'infini le leitmotiv «Forse che si, forse che no » (peut être que oui, peut être que non), rendu célèbre par Gabrielle D'Annunzio qui en fit plus tard le titre d'un de ses livres. Le caractère tortueux du labyrinthe se veut ainsi le reflet du tempérament torturé de Vincenso de Gonzague, qui est aussi le commanditaire d'un jardin-labyrinthe (aujourd'hui disparu) dans les environs du Palazzo Te de Mantoue.
Ce palais accueillit entre autres Charles Quint. Est-ce là que naquit son goût prononcé pour les labyrinthes végétaux ?
Avec l'italomanie, les jardins-labyrinthes arrivent en France : François 1er les met à la mode, secondé dans son projet par Léonard de Vinci, et ils fleurissent partout autour des châteaux de la Loire (Villandry, Poncé).
Ainsi le labyrinthe, figure emblématique du doute, dit l'inquiétude de l'homme qui doit trouver une nouvelle place dans un univers désormais infini et héliocentrique, et représente aussi, dans un cadre de beauté, dans un jardin de plaisir où les cinq sens sont sollicités, les ambiguïtés et les complications du rapport amoureux.
Ce n'est qu'avec le développement des jardins à la française, avec la construction de Versailles qu'il prend une autre signification, celle de la domination de l'homme sur la nature, symbole du pouvoir absolu d'un monarque qui choisit un site marécageux où périrent des centaines d'ouvriers, pour son entreprise de décor-machine politique où « parquer » la noblesse. Louis XIV demande à Perrault (l'auteur des contes) de lui construire son labyrinthe en 1674. Dès lors, tous les courtisans veulent le leur : le Nôtre en crée un pour Chantilly, la Quintine au château de Beaumesnil en Normandie, Madame de Sévigné aux Rochers en Bretagne.
Cette ligne pure du classicisme, dans laquelle on a vu un archétype de l'esprit cartésien, trouve sa plus belle expression dans cette nature mise en scène, mais à cette esthétique s'oppose celle du baroque, qui la mine de l'intérieur par le vertige et l'illusion. Le jardin-labyrinthe apparaît ainsi comme une tension entre deux courants contradictoires, microcosme figurant deux visions du monde : la ligne droite est n'est pas le reflet de l'ordre puisqu'elle contribue aussi au symbole du simulacre.
Au XVIIIème siècle, la mode du jardin-labyrinthe s'estompe au profit d'autres jardins, où la culture tend à disparaître dans une nature voulue plus « sauvage » ; les égarements du cœur et de l'esprit, le libertinage, ont désormais pour théâtre des paysages arcadiens. Le dernier labyrinthe historique est conçu par Buffon pour le Jardin des Plantes.
Depuis 10 ans, l'association Labyrinthus crée des jardins-labyrinthes un peu partout en France et en Belgique ; éphémères ou permanents, ils rencontrent un large succès. Ce retour au labyrinthe par le biais du jardin, refuge et exutoire de la vie urbaine trépidante, est peut-être le signe de l'angoisse mais aussi de la fascination devant la complexité du monde et les spirales du virtuel. L'infini du possible, des issues, place l'homme devant le gouffre du vertige terrorisant, dans le ressassement et la répétition.
Si la figure du labyrinthe, qui permet à la fois mouvement de l'extérieur à l'intérieur –comme parcours initiatique, mystique ou amoureux, recherche- et de l'intérieur à l'extérieur- issue à trouver pour échapper à l'enfermement-, de religieuse, est devenue ludique, elle n'en reste pas moins toujours ambivalente. Le jardin opère ce retour vers la nature, mais dans ce cas plus chargée que jamais de symboles, méandres de complications et d'inconstances où perdition/perte sont le pendant de salut/résolution du mystère. Trouver le sens apparaît ainsi comme l'artefact de « trouver du sens ».
La forme de la lettre T est liée au labyrinthe, peut être en référence à son étymologie, labrys, qui désigne en grec ancien une hache formée de deux demi-lunes (en forme de T), dessin du chemin qui se divise en deux, symbole de l'ambivalence.
Le jardin est l'une des formes que peut revêtir le labyrinthe. L'engouement pour les jardins-labyrinthes, devenus très en vogue ces derniers temps, est même un véritable phénomène de société. Le cinéma y a sans doute aussi contribué : au début du Limier de Mankiewicz ou à la fin de Shining de Kubrick en passant par Meurtre dans un jardin anglais, on retrouve le jardin-labyrinthe, image du vertige qui repose sur une fausse symétrie, tourbillon à l'intérieur d'une forme rigide et rationnelle, mais aussi lieu où l'on doit fuir, figure du doute devant la pluralité des possibles peut-être caractéristique de notre époque.
Cette inquiétude, c'est aussi celle de l'homme de la Renaissance, période où naissent les jardins-labyrinthes. Le Rinascimento italien voit éclore d'innombrables jardins imités de l'Antiquité, mais le labyrinthe n'en est pas directement inspiré, même si les Romains pratiquaient déjà la mise en scène végétale, notamment en trompe-l'œil. Jusque là, le labyrinthe trouvait sa place dans les églises où, portant le nom de « chemin de Jérusalem », il figure un parcours similaire au chemin de croix, un voyage initiatique, comme dans les cathédrales d'Amiens, de Chartres, de Reims, par exemple : celui qui y pénètre doit se laisser guider et ne pas perdre confiance, ne pas douter pour arriver aux secrets. Les fidèles allaient, à genoux, de la bordure vers le centre, comme pour parcourir un pèlerinage symbolique, gagner le ciel. Le jeu de la marelle est d'ailleurs un avatar de ce labyrinthe sacré.
Le jardin-labyrinthe apparaît sans doute la première fois (sur une gravure de 1464) comme élément de la ville idéale de l'architecte et urbaniste Florentin Filarète, Sforzinda, et il se multiplie au XVIème siècle. Rabelais place aussi un « beau labyrinthe » dans le jardin de plaisance de son utopique abbaye de Thélème (Gargantua, 1534).
Parallèlement, la mode des arbustes et des haies taillés (reprise de l'Antiquité romaine), leur disposition, l'art de les arranger, donnent lieu à des traités qui circulent dans toute l'Europe. La figure du labyrinthe passe de la sphère du sacré au profane dans un monde qui n'est plus soumis à l'ordre divin, à l'époque où se développent à la fois la perspective et l'optique, mais aussi l'illusion et le jeu (représentés par exemple dans les anamorphoses). Le labyrinthe devient en même temps un agrément, comme le labyrinthe d'amour, dont le plus célèbre se trouve à Hampton Court.
Parmi les célèbres labyrinthes végétaux italiens, on peut citer les quatre parterres (vers 1550) de la villa d'Este à Tivoli, itinéraire ésotérique placé sous le signe d'Hercule, hésitant entre la voie du bien et du mal. A la même époque, pas très loin, à Mantoue, la « salle du labyrinthe » du Palazzo Ducale, figure un labyrinthe dans lequel se répète à l'infini le leitmotiv «Forse che si, forse che no » (peut être que oui, peut être que non), rendu célèbre par Gabrielle D'Annunzio qui en fit plus tard le titre d'un de ses livres. Le caractère tortueux du labyrinthe se veut ainsi le reflet du tempérament torturé de Vincenso de Gonzague, qui est aussi le commanditaire d'un jardin-labyrinthe (aujourd'hui disparu) dans les environs du Palazzo Te de Mantoue.
Ce palais accueillit entre autres Charles Quint. Est-ce là que naquit son goût prononcé pour les labyrinthes végétaux ?
Avec l'italomanie, les jardins-labyrinthes arrivent en France : François 1er les met à la mode, secondé dans son projet par Léonard de Vinci, et ils fleurissent partout autour des châteaux de la Loire (Villandry, Poncé).
Ainsi le labyrinthe, figure emblématique du doute, dit l'inquiétude de l'homme qui doit trouver une nouvelle place dans un univers désormais infini et héliocentrique, et représente aussi, dans un cadre de beauté, dans un jardin de plaisir où les cinq sens sont sollicités, les ambiguïtés et les complications du rapport amoureux.
Ce n'est qu'avec le développement des jardins à la française, avec la construction de Versailles qu'il prend une autre signification, celle de la domination de l'homme sur la nature, symbole du pouvoir absolu d'un monarque qui choisit un site marécageux où périrent des centaines d'ouvriers, pour son entreprise de décor-machine politique où « parquer » la noblesse. Louis XIV demande à Perrault (l'auteur des contes) de lui construire son labyrinthe en 1674. Dès lors, tous les courtisans veulent le leur : le Nôtre en crée un pour Chantilly, la Quintine au château de Beaumesnil en Normandie, Madame de Sévigné aux Rochers en Bretagne.
Cette ligne pure du classicisme, dans laquelle on a vu un archétype de l'esprit cartésien, trouve sa plus belle expression dans cette nature mise en scène, mais à cette esthétique s'oppose celle du baroque, qui la mine de l'intérieur par le vertige et l'illusion. Le jardin-labyrinthe apparaît ainsi comme une tension entre deux courants contradictoires, microcosme figurant deux visions du monde : la ligne droite est n'est pas le reflet de l'ordre puisqu'elle contribue aussi au symbole du simulacre.
Au XVIIIème siècle, la mode du jardin-labyrinthe s'estompe au profit d'autres jardins, où la culture tend à disparaître dans une nature voulue plus « sauvage » ; les égarements du cœur et de l'esprit, le libertinage, ont désormais pour théâtre des paysages arcadiens. Le dernier labyrinthe historique est conçu par Buffon pour le Jardin des Plantes.
Depuis 10 ans, l'association Labyrinthus crée des jardins-labyrinthes un peu partout en France et en Belgique ; éphémères ou permanents, ils rencontrent un large succès. Ce retour au labyrinthe par le biais du jardin, refuge et exutoire de la vie urbaine trépidante, est peut-être le signe de l'angoisse mais aussi de la fascination devant la complexité du monde et les spirales du virtuel. L'infini du possible, des issues, place l'homme devant le gouffre du vertige terrorisant, dans le ressassement et la répétition.
Si la figure du labyrinthe, qui permet à la fois mouvement de l'extérieur à l'intérieur –comme parcours initiatique, mystique ou amoureux, recherche- et de l'intérieur à l'extérieur- issue à trouver pour échapper à l'enfermement-, de religieuse, est devenue ludique, elle n'en reste pas moins toujours ambivalente. Le jardin opère ce retour vers la nature, mais dans ce cas plus chargée que jamais de symboles, méandres de complications et d'inconstances où perdition/perte sont le pendant de salut/résolution du mystère. Trouver le sens apparaît ainsi comme l'artefact de « trouver du sens ».